Rose restait assise là, immobile. Tous ceux qui passaient auraient pu affirmer facilement qu'elle ne faisait rien, qu'elle ne faisait jamais rien de toute façon... mais Rose s'en fichait, je crois bien qu'elle ne les entendait même pas, elle était trop occupée. Tu sais, Rose faisait un tas de choses !

   Rose restait là, les yeux clos. Les gens qui passaient auraient pu affirmer qu'elle ne voyait rien mais Rose s'en fichait puisqu'elle ne les voyait pas. Elle regardait déjà beaucoup trop de choses, des choses bien plus belles que des gens de passage remplis d'aigreur. Car sous leurs airs hautains et pleins d'assurance, il étaient envieux à en être malades... Ils avaient le pouvoir d'obtenir de l'argent pour prendre l'avion et se rendre aux Bahamas, mais Rose n'avait qu'à y penser très fort pour s'y retrouver. Même si elle ne savait pas à quoi ça ressemblait là-bas, un petit coin de paradis ça s'invente facilement, non ?

   Rose dansait là, au milieu des nuages, sans pour autant danser vraiment. Qui peut parler de réalité lorsqu'il la trouve insupportable ? Faut-il être si peu imaginatif pour s'emparer d'un joint ? Sur la mélodie et les paroles d'un de ces fumeurs, Rose virevoletait en chantant "Oh My Love" tout en se demandant comment aurait été le monde de la musique si ce cher homme n'était pas mort, ce jour de décembre 1980.

   Rose était là, étendue sur le sol. Envahit par une fausse fatigue, elle souriait, le vent s'engouffrait dans ses longs cheveux. Des pétales de roses s'envolaient dans le ciel coloré d'un bleu pâli par les nuages qui s'emblaient étalés comme on étale la peinture fraîche avec son doigt. Rose souriait... Parce qu'au moment où elle voulait jouer un air de piano, elle réalisait qu'elle l'entendait déjà.

   Et Rose disparut, pour retrouver sa morne existence. Mais malgré tout, elle se conforte dans l'idée qu'elle détient un superbe secret : elle possède le don le plus merveilleux qui soit, et personne ne le sait.